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Lettre ouverte d’un palestinien au Président de la République française suite à l’hommage national rendu à Stéphane Hessel


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Le Président Hollande évoquant Stéphane Hessel lors de l’hommage national qui lui a été rendu aujourd’hui:
« Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage ».

Monsieur le Président,

Des millions de personnes ont suivi l’hommage rendu par la France à l’un de ses citoyens, qui a réussi par ses actes et ses paroles à raviver des valeurs universelles en manque d’incarnation, et à donner corps aux aspirations d’une jeunesse en quête de repères. Vous avez compris qu’au coeur du combat de Stéphane Hessel, il y avait la liberté, et sans doute la dignité humaine. Ce combat, il l’a mené comme résistant, comme diplomate, comme militant, comme écrivain. Il n’a jamais déposé les armes et a continué à défendre jusqu’à son souffle ultime cet absolu, faisant face aux fatalistes, aux résignés, aux frileux.

Parmi ses combats multiples, un lui a tenu particulièrement à coeur ces dernières années, la Palestine. Peut être avait-il compris qu’à toute époque, un combat symbolise plus que tout autre cette lutte permanente contre l’injustice? Le résistant de la libération pouvait-il être autre chose que le pourfendeur de l’occupation? Stéphane Hessel a défendu la Palestine, au nom du droit, de la justice, de la liberté, du devoir de solidarité. Il l’a toujours fait en se conformant aux valeurs universelles qui lui ont servi de boussole, et non seulement d’étendard. Il l’a fait au nom de la paix qui ne peut être fondée que sur la fin de l’injustice et non sa perpétuation. Pourquoi, alors, Monsieur le Président, ce besoin de vous distancer d’un homme dans un combat honorable comme celui-ci?

Monsieur le Président, Stéphane Hessel refusa en permanence d’être le témoin de l’histoire, fut-il privilégié, pour assumer avec détermination le rôle d’acteur. Il a refusé de se laisser intimider par les surenchères, les mensonges, les pressions. Ce qui fait de lui un grand homme n’est pas seulement ce qu’il a accompli mais le chemin qu’il a pavé pour nous, afin que nous puissions à notre tour défendre ce même idéal qu’il a voulu nous léguer. Car l’oeuvre majeur de Stéphane Hessel, celle qui est aussi au coeur de son ouvrage, est ce devoir de transmission. « Indignez vous! » nous a-t-il lancé, nous rappelant que le salut venait d’abord de la capacité à défier l’injustice. L’esclavage fut aboli, l’apartheid s’effondra, le colonialisme céda. Tant reste pourtant à faire pour fonder la justice politique et sociale que cette génération appelle de ses voeux, et pour laquelle elle s’est soulevée aux quatre coins du monde.

En rendant hommage à Stéphane Hessel, la France aurait dû se parer sans nuances de cet idéal. La France est loin d’avoir été toujours exemplaire, mais en dépit de ses tergiversations, elle sut contribuer à la définition de cet idéal humaniste dont Stéphane Hessel est devenu l’une des figures les plus emblématiques. Oui, la France s’est parfois reniée. La France coloniale, la France de Vichy, la France de l’extrême droite. Mais chaque fois qu’elle s’est hissée à la hauteur de l’histoire, elle s’est montrée capable d’être un grand pays, en dépit d’une géographie étroite. C’est la France de la République qui défie des siècles de monarchie absolue. C’est la France qui fait, à la sortie de la seconde guerre mondiale, le choix de l’Europe, barrant la voie aux nationalismes exacerbés. C’est la France qui fonde sa démocratie sociale au moment où le pays en ruine aurait pu être abandonné aux égoïsmes. C’est la France qui dit non à la guerre contre l’Irak alors que ses intérêts à court terme aurait pu troubler son jugement.

Sur la question palestinienne, le peuple français n’a jamais été aussi clair, il soutient la liberté, la justice, le droit contre ces maux terribles que sont l’occupation, l’oppression et l’indifférence. La France a souvent été sur cette question à l’avant garde, osant adopter des positions courageuses qui nous ont permis d’avancer vers la reconnaissance des droits du peuple palestinien. En ce sens, Stéphane Hessel a incarné une certaine vision de la France et d’un humanisme qui trouvent leurs racines dans les leçons tirées des ténèbres, et dans l’idéal qui fonda les lumières. Le premier Ambassadeur de France, l’un des rédacteurs de la déclaration universelle des droits de l’Homme, ce citoyen engagé du monde a toujours été fidèle aux principes qui ont fondé la République: la liberté, l’égalité, la fraternité.

Monsieur le Président, vous aviez l’occasion de vous démarquer de ceux qui, en France et ailleurs, ont décidé de défendre l’indéfendable: l’occupation d’une terre et l’oppression d’un peuple. Vous avez choisi de vous démarquer de celui qui se rangea, comme toujours, du coté de la liberté et de la justice, au nom des valeurs universelles, et d’un principe qui se trouve au coeur de la révolution française: « les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Aucune formule ne saurait mieux expliquer l’essence de notre lutte. Si la cause palestinienne est légitime, et elle l’est comme vous le reconnaissez, alors votre incompréhension ne l’est pas.

Il dessine


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Il dessine des paysages,

Des contrées lointaines et d’intimes visages ;

Il dessine le temps qui s’arrête pour saluer le courage ;

Il dessine sa fille dont il a oublié l’âge,

Lui caresse les cheveux

Et lui laisse un baiser,

En héritage.

Il dessine ses propres yeux,

«Qui a osé arroser ces plantes sauvages?» ;

Il dessine un cercle

Et ne le ferme pas…

«Au cas où

L’espérance passerait par là»,

Mirage!

Il dessine la mer,

Y a-t-il un rivage?

Il dessine sa mère

«Pardonne-moi et embrasse pour moi le Haj»

Il dessine le temps

Ce fantôme, présent… absent,

Plein d’amertume et de rage.

Il dessine son cœur

Dont les battements mesurent l’étendue de la solitude,

« A quoi ressemble l’écho d’une image».

Il fuit son ombre,

Puis l’affronte,

Rend les armes,

S’agenouille…

Puis, pris de honte,

Lutte à nouveau,

S’écroule…

Et ne se relève plus.

Il dessine son propre visage

Et ne se reconnait plus

Il est soif

D’espace et de temps ;

Il est soif de tendresse,

Ne serait ce que les caresses du vent ;

Il est soif,

Et chaque larme en l’abreuvant, le

Blesse.

Il dessine les barreaux de sa cellule sur le sol,

Les enjambe,

Sent le parfum des tournesols,

Vois les champs de blés,

Et marche, marche…

Vers sa bien-aimée.

Il est soif

De bonheur, de vie, d’années

Il est soif,

Et pourtant,

Il est déjà

Liberté.

Le chemin qui mène au soleil (avant-propos d’un recueil jamais paru, « Aux veilleurs de l’aube », finalisé en 2008 à l’occasion du 60ème anniversaire de la Nakba)


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Je ne sais vraiment par où commencer. Tout se mélange: les souvenirs et les desseins, le poème et la prose, le réel et l’imaginaire. Quel vertige! Et ce flot incessant ne nourrit pas ma plume, il la paralyse…si ce n’est ces tremblements, ces hésitations du cœur, murmure insaisissable que je m’applique à déchiffrer. Dans cette agitation intérieure, un chiffre ne cesse de revenir, pour mieux construire ce recueil et pour mieux m’ébranler. 60 fois déjà j’ai tenté d’avancer dans ce projet, 60 fois j’ai reculé. La souffrance est trop grande. Les mots, insignifiants. Le passé trop lourd pour oser le porter jusqu’à vous. Mais il me faut le faire. Non seulement car une partie de moi-même n’a jamais pu abandonner ces souvenirs que je n’ai jamais eus, non seulement car je suis moi-même l’enfant de cette histoire, mais aussi, et peut être surtout, car les exilés, vivants et morts, habitent en nous. Ils attendent et veillent et leurs regards scrutent le ciel à la recherche du premier rayon de soleil. Ils ne cessent d’entendre que l’aurore ne peut leur appartenir. Je partage avec eux ce désir d’aube et la peur de ne jamais connaître le lever du soleil.

Ce temporaire devenu permanent, je l’ai vécu; ces tentes en briques me sont familières. Ces nomades qui ne voyagent pas, chacun d’eux porte une part de moi-même, et je porte une part de chacun d’eux. Le temps ne veut rien dire, ici. Le présent est passage, le passé, un devoir, et l’avenir ne peut se dissocier de la mémoire. Ici, tout s’est arrêté. Les cicatrices ne parlent pas, elles ne pleurent pas, elles ne se referment pas. Elles attendent et demeurent fidèles à l’histoire qu’elles portent en elles. Ici les blessures se transmettent, en même temps que l’espoir, en héritage. Ici vit mon pays, chaque jour. Ici il meurt chaque jour. Ici il ressuscite. Ici il souffre, ici il pleure, ici il danse et chante, il regarde l’horizon, puis détourne les yeux, il se jette dans le puits de l’enfance, et ressort le cœur un peu plus sec. Ici, mille fois je l’ai enterré, et mille fois il m’a enterré, puis nous avons retrouvé le chemin de la vie ensemble.

Dans ces instants terribles que nous vivons, où les battements d’un même cœur luttent les uns contre les autres, et que nous, orphelins de la géographie, nous voila menacés de sortir de l’histoire, en ces temps où toutes nos certitudes s’écroulent, sans pour autant céder la place à de nouvelles vérités, il semble difficile d’espérer, dérisoire d’écrire, inutile de vivre. Et pourtant… ce pays que je ne trouve nulle part sur Terre, attend là dans le cœur de milliers d’hommes et de femmes, il brille encore dans le regard de nos enfants. C’est seulement là que mon exil peut cesser.

Nous devons tout reconstruire, de nouveau. Affronter les champs du silence. Nous définir sans avoir peur des vagues. Si notre patrie ne devait être qu’un radeau, autant faire naufrage! Il faut naviguer vers un nouvel horizon…que nous aurions non seulement espéré, mais construit. Et nous devons retrouver ce chemin qui mène au soleil.

Aux veilleurs de l’aube, je dédie ces poèmes, et au premier d’entre eux, à toi Arafat, dont le sourire est venu combler l’absence de la chaleur du soleil, je dédie les battements qui les ont inspirés.

Lettre à un pilote


Si tu avais dû

Ramasser les vitres brisées

Qui ne protègent plus les fenêtres du cœur;

Si tu avais dû

Entrer non plus en maître, mais en sujet,

Dans le royaume de la peur;

Si tu avais dû

Rassembler les pièces de mon existence

Et voir mon alphabet en pleurs,

Aurais-tu…

Poursuivi ton voyage,

Sans refaire le plein de cet aveuglement

Que tu nommes courage?

Aurais-tu…

Osé embrasser les lèvres de ta femme

Avec la même tendresse,

En imposant aux miennes

La saison de la sècheresse ?

Si tu avais su…aurais-tu… ?

Il t’a suffi d’un geste

Pour déplacer tous mes continents

Et défaire mon histoire;

Désormais je ne puis être,

Puisque je ne suis plus que

Mémoire!

Si tu avais connu son prénom,

Et si tu avais dansé une seule fois

Au rythme de la fleur

Logée dans sa chevelure,

Aurais-tu traversé le mur du son

Avec la même ardeur?

Aurais-tu survolé nos âmes

Avec la même indifférence?

Si tu avais dû

Te passer d’elle,

De son sourire,

Cette aube de sérénité

Dans l’antre du chaos;

Si tu avais dû

Te défaire de son regard

Où elle m’hébergeait,

Aurais-tu…

Si tu avais dû la retenir

Après la chute, après l’espoir;

Si tu avais dû, à jamais,

Porter un cœur en ruines

Aurais-tu…

Elle était ma lumière

Et tu y as installé ton ombre.

Tu es venu en ma nuit

Et depuis ton obscurité m’illumine.

Si tu avais dû

Te passer d’elle

Et perdre à jamais ta part d’éternité,

Aurais-tu…

Déployé tes ailes avec la même fierté ?!

Les auteurs du mouvement en panne d’inspiration!


Pendant très longtemps, mon pays fut considéré comme ce point de tension et d’agitation permanente alors que la région berçait dans une stabilité,à la limite de la paralysie. Et maintenant, alors que toute la région s’agite, quelqu’un semble avoir appuyé sur le bouton pause chez nous. Ni réconciliation, ni élection, ni négociation, ni révolution. Or notre avenir dépend de notre capacité à participer aux dynamiques régionales. Pour cela, un certain nombre de conditions: l’unité, la démocratie, la mobilisation pacifique. Nous étions l’avant garde de ce mouvement, et alors que la région s’est mise en marche, nous voilà à l’arrêt! Il est temps de défier cette stagnation.

Abou Ammar, Jérusalem t’attend


Moi qui ai tou­jours écrit, je n’ai pas pu écrire ; moi qui parle tant, je me suis tu. Tu es parti sans que je puisse te dire au revoir, sans un dernier mot, un dernier regard, un dernier sourire. Tu es parti en exil, l’exil que tu as tant détesté, que tu as com­battu avec toutes tes forces. Je ressens main­tenant le besoin de t’écrire, de te parler, de te déranger, toi qui mérites plus que qui­conque un peu de repos. La Palestine a dû dire au revoir à son leader his­to­rique, à celui qui a incarné cette cause, ce combat et cette terre. Le monde a dit au revoir à un grand com­battant, homme de paix prê­chant inlas­sa­blement la coexis­tence et portant le rêve d’un avenir différent.

Tu as mis la Palestine sur le devant de la scène inter­na­tionale quand le monde cher­chait à l’enterrer. Tu as assuré l’indépendance de cette cause quand cer­tains cher­chaient à l’accaparer. Tu as mené le peuple pales­tinien sur la voie de la paix tout en com­prenant ses décep­tions, ses souf­frances, sa révolte. Tu as fait des choix dif­fi­ciles sans jamais rompre le lien avec lui.

Tu as accepté une paix reposant sur deux Etats. Je fais partie des gens qui ne vou­laient pas de cette paix, qui rêvaient de la Palestine que mes parents et grands-parents avaient connue. Je fais partie des gens qui ont accepté ton choix de faire la paix bien plus que la paix elle-même et tu m’as appris à la vouloir réel­lement.

Tu as incarné jusqu’à la confusion cette cause. On te dit ambigu, tu ne l’as pas été. Tu sym­bo­lisais à la fois notre désir de paix et notre révolte réelle. Ce n’est pas toi qui étais ambigu, c’est le monde ambigu ou hypo­crite qui voulait la paix sans nous rendre nos droits, qui voulait que nous capi­tu­lions, ce que nous ne sau­rions faire. Tu parlais sans cesse de coexis­tence. Ceux qui ont eu la chance de te ren­contrer lisaient dans ton regard cet espoir et cet huma­nisme. Mais le monde a préféré accueillir Sharon et accepter ton empri­son­nement. Pré­sident, tu as passé trois ans dans ce quartier général, empri­sonné, encerclé. Ce quartier général, ils l’ont détruit pour te détruire. Ta réponse : un sourire et le refus de t’agenouiller.

J’ai grandi sur tes paroles, j’ai connu mon pays et je l’ai aimé à travers ton regard. Nous avons dû dire au revoir à tant de héros… Nous les avons enterrés dans nos exils, en attendant le retour, en attendant la dignité, en attendant la vie. Nous avons semé leurs tom­beaux à chaque pas en donnant notre parole qu’ils ren­tre­raient avec nous en Palestine. Tu les rejoins comme pour mieux les honorer, comme pour lier ton sort au leur. Tu reposes à Ramallah, mais la terre qui te couvre est de Jéru­salem, là où, je te le promets, nous t’enterrerons. Tu reposes dans ton quartier général devenu ta prison, ta résis­tance et ta der­nière leçon. Comme pour nous dire que devenant Pré­sident, tu n’avais pas cessé d’être un leader qui aimait par­tager les joies de son peuple, il est vrai assez rares, et qui a tou­jours partagé ses douleurs.

Au revoir Pré­sident, au revoir Arafat, au revoir Abou Ammar. Cer­tains en lisant ces lignes se deman­deront si tu ne mérites pas plus de cri­tiques. Je sais que ça te ferait rire. Tu sais bien que nous savions te cri­tiquer, tu nous y a habitués. C’est là ta vraie force, tu es humain et nous le savions ; tu avais des défauts et nous les connais­sions mais cela ne nous a jamais empêchés de t’aimer. Tu avais deux han­tises : l’amour de ton peuple et son destin, et l’Histoire. Ta mort a prouvé que tu n’as rien à craindre. La France, à laquelle nous serons éter­nel­lement recon­nais­sants, t’a réservé les hon­neurs d’un chef d’Etat et t’a permis de rem­porter ta der­nière vic­toire sur le silence du monde. Ton peuple a voulu te dire au revoir en te portant, en enva­hissant ce quartier général damné, en pleurant, en priant, en criant, en te faisant cette même pro­messe. Nous t’enterrerons là où tu l’as voulu et le combat continue.

Tu nous laisses un héritage que le peuple tout entier doit porter, et nous devons nous en montrer dignes. Tu nous a menés jusqu’à notre terre et à présent tu nous confies ce rêve pour lequel tu as – nous avons – déjà tant sacrifié.

Pardon pour mes larmes, pardon pour mon désespoir, pardon pour mes doutes. Pardon à toi, porteur d’espoir, qui le premier m’as donné quelques cer­ti­tudes. Nous n’oublierons ni la légende que nous res­pectons, ni l’homme que nous aimons. Nous te por­terons jusqu’à Jéru­salem, jusqu’à l’Etat, et nous mettrons fin à nos exils, à nos morts. Tu as lié ton sort à ceux-là qui sont enterrés dans une der­nière demeure tem­po­raire mais aussi à celui de ton peuple en reposant dans ta prison comme pour par­tager, même dans ta mort, le sort de ton peuple, comme pour ne pas être libre tant qu’il ne le sera pas. Alors nous te por­terons à Jéru­salem, jusqu’à l’Etat, et ce n’est que là que les vivants comme les morts seront LIBRES.

« Un instant Monsieur »


Je ne comprends pas ceux qui parlent de plaisir du voyage. Comment se fait-il qu’ils ne ressentent pas l’angoisse, d’être interrogé, refoulé, arrêté. Depuis l’enfance, mon instinct m’indique que le plus naturel serait d’être interdit de passage. Et du coup, je n’ai jamais vraiment su me laisser apprivoiser par le plaisir du voyage.

Comment se fait-il que je me sente si coupable. Je balbutie aux questions les plus simples pour ne pas me trahir, alors que je n’ai rien à cacher! Faites que son regard ne croise pas le mien, afin qu’il ne devine pas le doute qui y a planté sa tente. Faites que mes mains ne tremblent pas. Faites que ma voix soit posée, s’emplissant d’une assurance dont je manque cruellement. Le naturel serait qu’il découvre la supercherie et qu’il m’arrête. Mais il n’y a point de supercherie! Il tourne et retourne le passeport jusqu’à ce que ce que l’aigle se plaigne d’étourdissement. Chaque feuillet est observé longuement, même les pages vides, et je suis effrayé de ce que peuvent révéler ces lignes invisibles. « Un instant Monsieur ». Je connais cette attente. La vraie supercherie, c’est cette expression. Cet « instant » qu’ils évoquent et qui ne cesse de durer.

Quelle fut ma fierté quand je reçu pour la première fois ce passeport, moi qui avait porté jusqu’à là le document de voyage pour les réfugiés palestiniens. Je n’avais pas exercé mon droit au retour mais je sentais qu’on venait de franchir un pas de plus vers l’indépendance. Peut être est-ce pour cela qu’ils nous font attendre. Pour nous rappeler que l’indépendance, en dépit du passeport, n’est pas pour tout de suite. Peut être qu’ils tournent et retournent l’aigle pour que nous ayons le temps de déchiffrer en dessous du mot PASSEPORT, écrit en majuscules et en grand, les mots document de voyage, qui, écrits plus petits, ont tout de même un droit de préséance. Tant de martyres, tant de sacrifices, pour avoir ce document, comme une pièce supplémentaire du puzzle de notre liberté, si difficile à assembler. La pièce n’a de sens que dans les retrouvailles avec ses semblables qui la complètent. A quand les retrouvailles?

Après l’attente solitaire dans une salle où ne vit que la caméra de surveillance au regard moqueur, et l’interrogatoire habituel, on me remet mon précieux document. « Vous pouvez y aller Monsieur ». Mais aller où? Ils venaient de me rappeler que je n’étais le bienvenu nul part, y compris sur ma propre terre. Je n’aime pas le voyage car il me rappelle que les victimes sont traitées en coupables, et les coupables en victimes. Je n’aime pas le voyage parce qu’il me rappelle que l’occupation se poursuit même en dehors de nos frontières. Je n’aime pas le voyage car il me rappelle que l’exil est pour l’heure ma véritable nationalité. Je contemple cette pièce de mon identité, et me réfugie quelques instants de plus dans ces quelques lettres qui me servent de géographie, PAL… Et la liberté, comme mes pensées, demeure suspendue.

La Palestine: temps de redistribuer les cartes!


L’hégémonie américaine, l’hyperpuissance, a marqué sa naissance de deux pierres, un acte de guerre et un acte de paix: la première guerre d’Irak et la Conférence internationale de Madrid pour la paix. Les palestiniens, ayant pris conscience des changements géostratégiques en cours, avaient entamé, des années auparavant, des contacts de plus en plus réguliers avec l’administration américaine. Après la chute du bloc soviétique, il ne leur restait qu’une option, intégrer la pax americana. Jusqu’au bout, Israël tentera de les en exclure, y compris en refusant la présence d’une délégation palestinienne à Madrid, ou de représentants de l’OLP. Des figures nationales de l’intérieur du territoire palestinien occupé intégreront la délégation jordanienne, ouvrant une brèche dans laquelle l’OLP va rapidement s’engouffrer. Les accords d’Oslo, signés à Washington, sous l’égide des Etats-Unis, marquent le succès des palestiniens à intégrer la pax americana, mais aussi leur sortie des cadres internationaux et multilatéraux, abandonnés au profit d’un cadre bilatéral sous parrainage américain.

A camp David, en 2000, on ne constate pas seulement l’échec des deux parties à parvenir à une solution négociée, mais aussi la partialité du parrain américain et son incapacité à faire sérieusement pression sur la partie israélienne. L’Etat palestinien aurait dû émerger en 1999, à la fin de la période intérimaire prévue par les accords de paix, et Arafat avait caressé l’idée de le déclarer et d’obtenir l’appui international à sa création. Les Palestiniens auraient du tirer les conséquences de l’échec du cadre bilatéral à ce moment là, un cadre où l’asymétrie des forces entre puissance occupante et peuple occupé marque de tout son poids la réalité sur le terrain, la réalité d’une occupation de plus en plus ancrée et d’une indépendance de plus en plus menacée. Mais poussés par lest Etats- Unis et l’Europe à une ultime négociation, puis rendus responsables par l’administration américaine de son échec, et confrontés à l’irruption d’une seconde Intifada et au piège de sa militarisation, les Palestiniens venaient de perdre toutes leurs marges de manoeuvre.

A son investiture, Mahmoud Abbas se donne pour mission de retirer tout prétexte à la partie israélienne pour l’obliger à négocier. Il compte bien plus sur l’intervention américaine que sur le bon vouloir israélien. Sa stratégie repose sur trois piliers: construction des institutions de l’Etat, fin de toute forme de résistance non pacifique, négociations. La Palestine ayant rempli l’ensemble de ses obligations, y compris dans le domaine ultrasensible de la sécurité, et en dépit de la poursuite des incursions et arrestations israéliennes, il se tourne vers le parrain américain et exige le gel de la colonisation, des paramètres clairs reconnus internationalement et un calendrier. Le parrain échouera à imposer les trois.

Abbas ne choisit pas la confrontation sur le terrain. Sa nature, sa psychologie, sa peur du dérapage l’en empêchent. Alors il choisit de prendre l’initiative sur le front diplomatique et politique. Il fait ce que les Palestiniens auraient du faire en 1999, il oeuvre pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine sur les frontières de 1967, et demande l’adhésion de cet Etat à l’ONU. Ce faisant, et peut être sans en avoir pleinement conscience, il entame une démarche salutaire, il referme la parenthèse Oslo. Il renoue avec la dimension internationale de la lutte du peuple palestinien et ouvre la voie vers une réconciliation décisive avec sa dimension populaire, toutes deux si chères à Arafat. Quand une équation est insoluble, il faut en changer les termes. Les Palestiniens ont tout tenté au sein de l’équation actuelle, et ils sont toujours sortis perdants: résistance populaire, résistance militaire, confrontation, négociations, institutions, pressions. Israël a trop de cartes en main, alors il faut rebattre les cartes et les redistribuer, sortir du face à face suicidaire pour réintégrer les cadres internationaux. Et tenter par là même de se doter de nouveaux instruments politiques, diplomatiques et juridiques leur permettant de poursuivre et d’amplifier la lutte pacifique pour le respect de leurs droits. Les Palestiniens contribueront dès lors à la fin du monde ancien au profit d’un monde encore à définir.

Deux images symboliseront à jamais ces deux mondes en confrontation, l’ancien ayant atteint son paroxysme avec les applaudissements répétés du Congrès américain au discours colonial et provocateur de Netanyahu; le second transparaissant, telle une lueur, lors des applaudissements des représentants des nations du monde lors du discours de Mahmoud Abbas à l’Assemblée générale. En cela, la perspective d’un veto américain doit faire bien plus trembler l’hyperpuissance que les Palestiniens. Les Etats-Unis, incapables d’arrêter la colonisation pour relancer la paix, préfèrent bloquer la reconnaissance de l’Etat palestinien! Le veto placé en février 2011 pour protéger la colonisation israélienne avait déjà entamé cette séquence fatidique. Un second veto s’opposant à l’indépendance de la Palestine scellera non seulement la fin de la prédominance américaine dans le conflit, mais aussi dans l’ensemble de la région. N’est ce pas l’arme qui symbolise le mieux le monde ancien? N’est ce pas celle qui matérialise, plus que tout autre, la complicité américaine avec l’impunité israélienne? Les Etats-Unis dilapideront en un instant tout le capital accumulé par l’administration Obama. Ils sortiront du printemps arabe pour entrer dans l’hiver colonial israélien. Les deux étant incompatibles, ils doivent choisir. Et si leur choix, si prévisible, ne mettait pas seulement fin à leur statut de parrain du processus de paix, mais précipitait la fin de l’hégémonie américaine?

Nul acteur, prétendant à un rôle international ne peut le faire sans se positionner sur ce conflit, devenu le coeur des relations internationales. Les Palestiniens entendent désormais tirer profit à nouveau de cette réalité. Ils ont redécouvert le monde, les puissances renaissantes telles la Russie ou la Turquie; celles émergentes telles l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud ou le Brésil. Toutes savent l’importance de l’enjeu palestinien, tant pour leur prestige international qu’interne. L’UE devrait s’en souvenir, car embourbée dans ses hésitations, elle pourrait manquer son rendez vous avec l’histoire. Cette Europe, dont la politique étrangère est née avec la déclaration de Venise reconnaissant au peuple palestinien son droit à l’autodétermination, il y a trois décennies, fera-t-elle chanceler sa puissance politique émergente et son rôle dans la région? Les gouvernements européens s’opposeront-ils à leurs citoyens et leurs parlements pour défendre l’impunité israélienne? Rien ne sert de faire l’Union si c’est pour choisir, face à l’histoire, l’abstention! Dans cette quête mondiale de voix leur permettant d’accéder à l’indépendance juridique, les Palestiniens ont trouvé la voie la plus prometteuse vers une indépendance réelle. Là où Arafat avait cherché à réintroduire un rapport de force dans une équation perdante, ils doivent désormais changer tout simplement les règles du jeu.

Le printemps arabe, facteur imprévisible et imprévu, est une nouvelle donne fondamentale de ce monde nouveau, une donne dont beaucoup sous-estiment la portée internationale. Les Palestiniens doivent y entrer de tout leur poids. Figurant parmi les inspirateurs de ce printemps, les Palestiniens doivent aussi en être les héritiers. Leur lutte pour la liberté, la justice et la dignité, qui aurait pu être marginalisée par l’éclosion régionale, s’en est trouvée au contraire renforcée. Les nouveaux gouvernements, conscients que la Palestine demeure une priorité pour leur population, gardent cette question au sommet d’un agenda pourtant surchargé de défis historiques. L’Egypte ne vient-elle pas de favoriser la réconciliation palestinienne et l’échange de prisonniers en pleine transition démocratique? La Palestine, forte de ce contexte régional nouveau et d’un monde multipolaire en gestation, a rendez vous avec son destin. La Palestine ne doit plus se soumettre aux contraintes du monde passé. Elle doit prendre toute sa place dans la définition du monde nouveau, un monde qui devra désormais régler sa montre à l’heure palestinienne.

I am a Palestinian…with Nothing more to say


As many Palestinians around the globe, I have spent the last few weeks following the uprisings in the Arab world on TV, overwhelmed with hope, enthusiasm, belief…and frustration. I grew up with the deep belief that our struggle for freedom was not only about territory. We were fighting to ensure a number of fundamental human values will prevail. We were fighting for justice, genuine democracy, dignity. In our quest, we aimed at freeing Palestine from the occupation but also allow it to rebuild the ties with its essence: pluralism, humanity, tolerance. We were fighting against zionism as an ideology that leads to exclusiveness, and exclusion, that spreads negation and destruction, discriminations and apartheid. And we thought that by fighting for pluralism in Palestine, and by accepting pluralism within the national movement, we were spreading the seeds of democracy in all of our region. We were democrats without a State, and we had a message to deliver. But years going by, and our house, the PLO, being neglected and weakened by divisions and competition, our pluralism was no longer a strength, as we were unable to dialogue respectfully and to speak with one voice. We doubted each others’ intentions and agendas, we criticized each others’ martyrs, and heroes. We forgot our common flag and fought each for our own colour. And from democracy we went to internal division. After the Nakba and the Naksa and Palestinian resurrection. After years of struggle, after Jordan, Lebanon, and two Intifadas. After imposing the Palestinian cause around the globe. After having lost so many of our historical leaders and so many of our resistants. We betrayed ourselves. We stopped believing. We lost faith in our own capacity to create miracles.

As I am watching these revolutions so close to us, and yet so far from us, I can not but ask myself, how come we became bystanders of a history we were at the forefront of. The Palestinian people fought for so long and made such sacrifices that it is normal to have fatigue or despair. It happened in the past and we always overcame. We disappeared from geography and we were on the verge of being erased from history. And defying all odds, we built a national movement that has changed all the past equations. But this time is different. People still fight every day for their dignity, their hopes and dreams, they continue demonstrating against the wall; in Jerusalem their fight for their homes is a fight for the Palestinian presence, and Palestinians remain in Palestine despite the siege in Gaza, and settlement activity and settlers’ harassment in the West Bank. And Palestinians in Israel continue fighting discriminations. And refugees continue to nourish their Palestinian identity even when the political bodies seem to have forgotten them. But where is our collective hope?

« Are you Gazan or West Banker, Jerusalemite or Israeli Palestinian, are you a refugee or not, are you…? » I am a Palestinian from Jaffa, my parents were Palestinian refugees in Lebanon, a country they left following the Israeli invasion in 1982. After 1948, some of my family went to Gaza, others to West Bank, other in exile. I was born in exile and grew up in Ramallah and studied in Jerusalem. I have been living for the last years in Europe. This is a typical Palestinian story. It shows that our identity is linked to a cause not to geography.

I am a Palestinian. Simple words that need to be embodied. We still have it in us. The hope, the willingness to fight once again despite decades of sacrifices, the capacity to overcome our divisions and to reshape our unity. But for all of this to be possible, we need to do what others have done in Tunisia and Egypt and elsewhere around the globe. Confront our fears, choose our fights, and empower the people. We need to do it now, as the wheels of history are turning and instead of being on the vehicle, we are under it!

There are ideas, and experiences and examples all over the globe of Palestinian resistance. There is so much to learn from other peoples who have risen up to defend their rights. Political leaders should stop thinking that populations can not understand, or are by definition unreasonable. A population that is invested in decision-making understands compromises, and efficiency, and result-oriented approach. A population that is not invested in decision-making turns to ideologies, and simplifications. Look how reasonable where the revolutions in Tunisia and Egypt. Despite past and future difficulties, and uncertain transition periods, the peoples of these countries continue doing their utmost to preserve the fragile balance of a revolution that seeks hope and not chaos. And while making the impossible possible, they were ready to achieve compromises on the instruments, not on the goals.

The major question now is how to change the balance of power on the ground, how to better confront this occupation and the injustice imposed on us 6 decades ago? The first element of any equation is to restore our unity, not based on void speeches or slogans, but on a deep understanding of our common belonging, respect for Palestinian pluralism, upholding human rights, and working towards genuine democracy where power can not be seized or hijacked and all political bodies remain accountable to the people on a regular basis. Palestinians want to be fully involved in the decision-making process. As they offer huge sacrifices in their quest for freedom, they can not tolerate for this freedom to be diminished by people that are supposed to represent them and their struggle. Unity is too serious a matter to be left for political parties to discuss it behind closed doors, and with undeclared agendas, or focus on power sharing. Only peoples can be entrusted with unity and democracy, they should pursue and shield them, as they are essential conditions for the success of any struggle for justice, and any debate on these questions, and all decisions, should be made with the full involvement of the people.

In Palestine and abroad, it is time for the people to take action and nobody should stop it. A power that fears its own people does not deserve to last and this is something that all political entities and all states should understand. We are ready once again to rise against the Israeli occupation, under its different forms: siege, settlements, exile, checkpoints, house demolitions, discriminations. We are ready to fight once more to protect our cause, to be faithful to the past, and to pave the way for another future. We are ready…and we await a signal to go beyond a fragmented destiny, land and resistance, and to launch a common fight for freedom! But looking closer, I think I saw a signal.

I look at my TV and I see crowds of people in the streets chanting and demonstrating peacefully. They have little slogans, many jokes and an unbreakable will. They carry one flag and one cause despite their differences. They defied their fear and overcame their divisions to ensure freedom will prevail. In a few weeks they have done what nobody else was able to do in decades. They did not wait for reforms, or political parties, trade unions or NGOs to set their game straight. The people went to the streets and knew everybody would have to follow.

I have nothing more to say…and there is so much left for us to do!

Jaffa (petit texte écrit à l’occasion d’une visite il y a quelques années)


Jaffa n’est pas pour moi visite, elle est gouffre. Elle est existence interrompue. Et quelque soit le nombre de souvenirs que j’accumule, rien n’y fait. Elle me manque, mais les rencontres ne réconfortent pas. J’y ai une maison qui ignore mon nom. Et mon grand-père y cherche une sépulture. Il lui assène qu’il est resté fidèle à la première demeure comme on reste fidèle au premier baiser. Il lui rappelle qu’avant de partir, il a enterré quelques affaires et y a oublié son coeur. Alors je marche, mais je ne sais plus dialoguer avec la mer. Et l’horizon baisse son regard à ma vue. Et les sourires prennent congés. Et je ne sais prononcer ton nom, ma ville, plus d’une fois, de peur que la seconde ne soit fatale.