Lettre ouverte d’un palestinien au Président de la République française suite à l’hommage national rendu à Stéphane Hessel


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Le Président Hollande évoquant Stéphane Hessel lors de l’hommage national qui lui a été rendu aujourd’hui:
« Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage ».

Monsieur le Président,

Des millions de personnes ont suivi l’hommage rendu par la France à l’un de ses citoyens, qui a réussi par ses actes et ses paroles à raviver des valeurs universelles en manque d’incarnation, et à donner corps aux aspirations d’une jeunesse en quête de repères. Vous avez compris qu’au coeur du combat de Stéphane Hessel, il y avait la liberté, et sans doute la dignité humaine. Ce combat, il l’a mené comme résistant, comme diplomate, comme militant, comme écrivain. Il n’a jamais déposé les armes et a continué à défendre jusqu’à son souffle ultime cet absolu, faisant face aux fatalistes, aux résignés, aux frileux.

Parmi ses combats multiples, un lui a tenu particulièrement à coeur ces dernières années, la Palestine. Peut être avait-il compris qu’à toute époque, un combat symbolise plus que tout autre cette lutte permanente contre l’injustice? Le résistant de la libération pouvait-il être autre chose que le pourfendeur de l’occupation? Stéphane Hessel a défendu la Palestine, au nom du droit, de la justice, de la liberté, du devoir de solidarité. Il l’a toujours fait en se conformant aux valeurs universelles qui lui ont servi de boussole, et non seulement d’étendard. Il l’a fait au nom de la paix qui ne peut être fondée que sur la fin de l’injustice et non sa perpétuation. Pourquoi, alors, Monsieur le Président, ce besoin de vous distancer d’un homme dans un combat honorable comme celui-ci?

Monsieur le Président, Stéphane Hessel refusa en permanence d’être le témoin de l’histoire, fut-il privilégié, pour assumer avec détermination le rôle d’acteur. Il a refusé de se laisser intimider par les surenchères, les mensonges, les pressions. Ce qui fait de lui un grand homme n’est pas seulement ce qu’il a accompli mais le chemin qu’il a pavé pour nous, afin que nous puissions à notre tour défendre ce même idéal qu’il a voulu nous léguer. Car l’oeuvre majeur de Stéphane Hessel, celle qui est aussi au coeur de son ouvrage, est ce devoir de transmission. « Indignez vous! » nous a-t-il lancé, nous rappelant que le salut venait d’abord de la capacité à défier l’injustice. L’esclavage fut aboli, l’apartheid s’effondra, le colonialisme céda. Tant reste pourtant à faire pour fonder la justice politique et sociale que cette génération appelle de ses voeux, et pour laquelle elle s’est soulevée aux quatre coins du monde.

En rendant hommage à Stéphane Hessel, la France aurait dû se parer sans nuances de cet idéal. La France est loin d’avoir été toujours exemplaire, mais en dépit de ses tergiversations, elle sut contribuer à la définition de cet idéal humaniste dont Stéphane Hessel est devenu l’une des figures les plus emblématiques. Oui, la France s’est parfois reniée. La France coloniale, la France de Vichy, la France de l’extrême droite. Mais chaque fois qu’elle s’est hissée à la hauteur de l’histoire, elle s’est montrée capable d’être un grand pays, en dépit d’une géographie étroite. C’est la France de la République qui défie des siècles de monarchie absolue. C’est la France qui fait, à la sortie de la seconde guerre mondiale, le choix de l’Europe, barrant la voie aux nationalismes exacerbés. C’est la France qui fonde sa démocratie sociale au moment où le pays en ruine aurait pu être abandonné aux égoïsmes. C’est la France qui dit non à la guerre contre l’Irak alors que ses intérêts à court terme aurait pu troubler son jugement.

Sur la question palestinienne, le peuple français n’a jamais été aussi clair, il soutient la liberté, la justice, le droit contre ces maux terribles que sont l’occupation, l’oppression et l’indifférence. La France a souvent été sur cette question à l’avant garde, osant adopter des positions courageuses qui nous ont permis d’avancer vers la reconnaissance des droits du peuple palestinien. En ce sens, Stéphane Hessel a incarné une certaine vision de la France et d’un humanisme qui trouvent leurs racines dans les leçons tirées des ténèbres, et dans l’idéal qui fonda les lumières. Le premier Ambassadeur de France, l’un des rédacteurs de la déclaration universelle des droits de l’Homme, ce citoyen engagé du monde a toujours été fidèle aux principes qui ont fondé la République: la liberté, l’égalité, la fraternité.

Monsieur le Président, vous aviez l’occasion de vous démarquer de ceux qui, en France et ailleurs, ont décidé de défendre l’indéfendable: l’occupation d’une terre et l’oppression d’un peuple. Vous avez choisi de vous démarquer de celui qui se rangea, comme toujours, du coté de la liberté et de la justice, au nom des valeurs universelles, et d’un principe qui se trouve au coeur de la révolution française: « les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Aucune formule ne saurait mieux expliquer l’essence de notre lutte. Si la cause palestinienne est légitime, et elle l’est comme vous le reconnaissez, alors votre incompréhension ne l’est pas.

Nouvelle lune? (Nouvelle n°1)


La lune nous apparait différente alors qu’elle est la même pour tous. La rotation de la terre, la lumière, notre humeur, influent sur notre perception.

Nous changeons et donc la lune évolue. Tout a changé. Le sourire du dragueur invétéré est, pour une fois, complice et non pervers. On respire l’air pollué à pleins poumons. On entre dans le bus plein à craquer et on a l’impression de partager une intimité collective. Les rues bruissent comme d’habitude, mais on parvient à déchiffrer, par delà les moteurs et les discussions enflammées, le son des rêves.

Le lieu du rassemblement, est devenu notre véritable demeure. Jamais ailleurs nous ne nous étions sentis tellement chez nous. Nous sommes bien plus en sécurité ici que dans nos propres maisons. Les gens continuent à affluer des 6 artères qui mènent vers la place. Les jeunes ont érigé des tentes. Ils s’installent, et jamais déménagement ne fût aussi joyeux. Se mêlent le fumet de viande, les parfums des jeunes filles, l’odeur de la colle pour les multiples affiches, et une fragrance de liberté qui diffère selon les interlocuteurs. On ne parle pas de banalités comme du temps ou des rumeurs, et pour une fois on ne se plaint pas des problèmes quotidiens. On discute de nos aspirations, du combat qui nous unit, du nouveau monde que nous comptons établir.

Un homme crie à tue-tête pour attiser notre faiblesse; il sait que notre faim de liberté ne supplante pas notre envie de grillades!! Pendant que nous mangeons goûlument notre sandwich, on s’aperçoit que la viande est plus tendre, et le pain plus goûteux. Les visages fatigués paraissent plus sereins. Les sourires sont devenus la principale monnaie d’échange. Toutes les voix sont rouées, à force de crier nuit et jour leur désir d’expression.

La lune apparait différente alors qu’elle est la même. Et nous n’avons point changé, nous avons juste commencé à nous ressembler.


Cette journée a un goût particulier, celui d’une Intifada en herbe qui ne dit pas encore son nom. Les sirènes des ambulances n’ont cessé de retentir, me rappelant des souvenirs de la deuxième Intifada. Pendant la manifestation, on nous informe qu’une voiture de colon a foncé sur Abdallah Abu Rahma. Nous décidons de le rejoindre à l’hôpital. Il va bien, mais on apprend que des étudiants de Birzeit qui manifestaient à Qalandiya ont été accueillis par des tirs de balles, nous allons voir Fadi un des blessés, deux balles ont traversé ses deux cuisses, mais sans atteindre ses nerfs ou ses os. Il s’en sortira. On s’apprête à sortir de l’hôpital rassuré quand on apprend que Rushdi Tamimi a été atteint par une balle à l’estomac à Nabi Saleh. L’armée l’a encerclé et a interdit pendant plusieurs minutes aux manifestants de l’approcher ou de le secourir. Nous demandons à le voir. On nous apprend que c’est trop tard. Nous faisons mine de ne pas comprendre, nous ne voulons pas comprendre. Ce policier qui voulait juste aider les manifestants en détresse a uni son sang a celui de nos martyres tombés à Gaza dont les noms qui nous parviennent par sms ne cessent de faire vibrer les téléphones. D’autres martyres sont tombés à Hébron et à Qalandiya. On apprend que des blessés arrivent aux hôpitaux aux 4 coins de la Cisjordanie. Les camps de réfugiés à l’extérieur manifestent pour soutenir leur peuple sous occupation. On parle ici de funérailles, de blessés, de solidarité, d’unité de dignité, de liberté, et nous tentons au milieu de ce cauchemar de préserver nos rêves.

La lumière


La petite fille retrouve ce bruit qui lui est désormais familier. L’aube approche. Elle n’arrive pas à deviner si elle viendra de la mer ou de la terre. Souvent l’aube apparait parmi les longs immeubles qui jouxtent la plage. Elle est toujours bruyante, et la terre tremble à son accueil. Alors la petite fille épie le ciel. Elle retrouve l’oiseau qui porte l’aube dans les foyers. Elle sourit. Elle pose délicatement ses mains sur ses oreilles, et attend. Un bruit terrible retentit… Puis la lumière, éphémère et colorée, apparait. Alors qu’elle se laisse aller à la lueur, elle voit sa mère se précipiter vers elle en criant de toutes ses forces. Pourquoi sa mère n’aime pas la lumière? La mère agrippe la petite fille et la tire vers la maison. Une voix dans le téléviseur vole en éclats, et des scènes de désolation et de morts passent en boucle. Pourquoi tous ces gens sont si tristes, pense la petite fille. La mère prend la petite fille dans ses bras et la supplie d’arrêter d’aller dehors observer le ciel. La petite fille regarde sa mère dans les yeux, désormais presque impossible à identifier derrière le voile des pleurs, et lui dit: « Maman, pourquoi tu n’aimes pas la lumière! ». La mère se tait, regarde sa fille, et se demande s’il n’est pas encore trop tôt pour lui expliquer que cette lumière là est en réalité obscurité.

Gaza…Again!


The wounds had not healed yet, nor the tears dried, when the first bombs dropped on Gaza…again. By killing a top military chief in Hamas, Israel willingly decided to take the tension to a whole new level. The Israeli aggression against Gaza in 2008 is not so far away. I was asked then to write an article on the aggression and asked the person requesting the article: can I write a 1400 words article. The person responded it was a bit too long and asked if I could make it shorter. I said unfortunately not, it is the occupation who decided the length of the article, and the occupation has killed 1400 palestinians, I just wish for people to know their first name.

Israel usually starts by cutting off electricity. Some say it is to collectively punish us. I often believe that crimes are more easily committed in darkness. We knew that if Israel was not sanctioned for its massacres, it will only be the prelude to other crimes. A state which is above the law will always act as an outlaw state. A few months ago, the Israeli soldier who killed a mother and her daughter while they were raising a white flag during the attack on Gaza in 2008 was condemned by an Israeli court…for misuse of weapon…to 45 days of detention. This was not only an insult to our humanity, and to universal values and international law, this was the announcement of massacres to come, fostered by an unprecedented impunity. This impunity is most probably the biggest enemy of peace and justice.

Reading statements by western powers, one might think we live in parallel realities. Palestinians are to blame for the escalation?! We should stand still as Israel kills and destroys?! Worst, they remind us of Israel’s right to defend itself. Don’t we also have the right to defend ourselves? Are their lives more sacred than ours? Are their civilians more civilian than ours?! Are we the occupying power and them the occupied people?! Have those who drafted these statements stopped for a second to measure how offensive and racist this approach is. More than 50 palestinians have already lost their lives, including children. Israel is evoking a larger attack, with its share of devastation and death. Hasn’t besieged Gaza suffer enough? In the last years, Israel has maintained a siege which caused terrible human and political harm. It is planting today further seeds of war, and consolidating in the West Bank and Gaza its occupation and oppression, entrenching a conflict we were hoping to end.

Today, Israel must stop all attacks on Gaza to pave the way to a cease fire, which must include the lifting of the siege and all forms of collective punishment against our people. Palestinian reconciliation should occur today to unite both the palestinian people and land which occupation has divided for decades. We will continue fighting Israeli impunity and we should use all available political, legal and diplomatic fields to prosecute Israel for its crimes, including by heading to the ICC the day after the vote in the General Assembly on the observer State status.

As you watch the images of bombings on Gaza and hear the death toll, remember that each of our martyrs has beloved ones and a life he/she leaves behind, unfulfilled. Remember that supporting Israel in its aggression and its war crimes does not only undermine your credibility but undermines universal values generations have thrived to uphold. Remember that every shelling drives us further away from the path to the future, and that the corpses we are burying take away with them the hope of a better tomorrow. Remember the faces and the names, and you will understand this is an attack against humanity. You will understand that this an attack against the future. You will understand that the Palestinian people will pursue and intensify its struggle and will never surrender nor kneel.

Gaza…a lot can be done!


Some continue asking what can we do, what can we do…well, let me see:

– announce that you will pursue the UN bid and the day after you will head to the ICC. This will give substance to the UN bid and will make it relevant again, and many western countries will anyhow oppose the bid even if we do not go to ICC. The biggest threat is Israeli impunity and we must end it.
– announce launching consultations to constitute a national salvation front under the authority of the PLO to face the Israeli attacks throughout the oPt. We must preserve our unitarian and pluralistic political representation and achieve unity of the people and the land

– call for massive peaceful demonstrations in the West Bank in support of our people in Gaza. Some say they are trying to preserve our blood by avoiding such demonstrations, but we are one people and our people is bleeding in Gaza!
– promote political and financial support to the Palestinian people in Gaza as a matter of urgency
– intensify pressure on all countries who are accusing the Palestinian side of being responsible for an escalation Israel has deliberately provocked including by convocking their representatives. Reaffirm that we too have the right to defend ourselves (our lives not being less sacred than Israeli lives and Israel being the occupying power and us the occupied people!) and to fight this occupation especially when it is launching a full fledged war on our people and killing civilians including children. Insist on the need to end the attack and lift the siege
– last but not least GO TO GAZA!!

Please start with any of the above and we will work with you through the rest

Abou Ammar


He is one. One who embodies all. One who became the people. One who changed this world and carried our cause from the waves of perdition to the shores of existence. Yasser Arafat is a symbol. And like all symbols, what he represents outlasted him.

Long ago, he said he wanted for the refugees we were to become freedom fighters. We became more than that. Representatives of an ideal much bigger than our borders. Our cause became the symbol of the eternal battle against injustice and oppression. Our national movement inspired so many around the globe, and while we were erased from geography, he paved our way back into history. He was not alone. But he was able to get out the best in us. He made us belief in the darkest hours that light was already there, within us, and we needed to trust it.

His story is the story of our struggle, our victories and defeats, our solitude and our universality, our hope outweighing our despair. So many tried to get rid of him, hoping to annihilate his people, but he remained faithful to his cause, and his people remained loyal to their leader. Under siege in Lebanon. In exile in Tunisia. Imprisoned in his own headquarters in Palestine. He used the successive divisions around us to impose the Palestinian cause. They are now using the division within us to implode the Palestinian cause.

When I told people i intended to go back to Palestine, they told me there was nothing to hope for any more. They called me naive. They thought i was blind. But like them, I see the darkness, but i also trust the light I feel inside of me. I see where we are. But I also see where we can be. It is not a state of denial, but of defiance.

He has never abandoned us, and I have no intention to abandon the ideal for which he gave all his life. He remains among us, imprisoned in his own land. So close to his dream, a free country and a free Jerusalem, where he would finally rest in peace. And yet Jerusalem, a few steps away, seems unreachable. He awaits for us to fulfill the promise, to free this country and to offer him a sepulture in the most sacred land. And I will stand by this promise. Make no mistake, we have a longstanding encounter with this land. We remain its children and it has not forgotten us. We must continue proving our love to its essence: its history and geography, and its eternal dream of freedom, justice, dignity and coexistence.

We are probably not responsible for our so many deaths. But not believing in our resurrection would be the biggest of betrayals.

He is not a memory, he is a promise. A promise we can achieve miracles. A promise we will not fade away. A promise we will not betray the land, nor the people. A promise to be the best we can be. We are One. This division and fragmentation should not make us forget it. We are one. In exile and under occupation. We are one, from Acca to Gaza, from the camps of Lebanon till the suburbs of Santiago, from Nablus to Nazareth, from Jaffa to Jenin, from Jericho to Jerusalem. We do not share only a common past, but a common dream. We belong to the land, and we do not seek to submit it but to cherish it, not to dominate it, but to transcend it, not to control it but to set it free. He is one. One of us. He is us. This is Palestine. This is Yasser Arafat. And it is time for us to remind ourselves and remind the world who we are, and what we stand for.

On the 11th of November, he fell. For so long, he carried us forward. It is time we carry him and his ideal to safe shores. He calls upon us: Rise! Will we honour our promise? These are defining moments. Let us not let anybody else define us. Let us be there, and fulfill the promise. The vow is the vow and the oath is the oath. He now lies among us, under occupation, to remind us of the struggles to come. He now lies among us, as he can not be free as long as we are not. He will not enter Jerusalem until we do. He is buried among us, and within us, not to remind us of our death, but to urge us to believe in our resurrection.

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No to the death penalty


I am against the death penalty

– As a jurist, because no sentence should be irreversible
– As a democrat, because i believe that in justice as in politics, we must always doubt our judgement
– As a humanist, because killing somebody who is defenceless can not be called justice
– As a believer, as i believe God gives life and only the Almighty shall take it back.

Le soulèvement du vieil homme


Il marche d’un pas lent et décidé, en phase avec le flot de sa voix. Il regarde l’horizon, comme s’il était face à la mer et non face à ces ruelles sales, trop étroites pour y construire un destin. Il arpente les rues, et elles se transforment sous l’effet de ses pas. Elles révèlent leur caractère; assument leur histoire; nous rappellent des souvenirs intimes et des joies collectives; ressuscitent nos jeux d’enfants et nos rires qui furent leurs voix pendant longtemps. Il disparait, et la magie s’éteint. Le présent ruine le passé, et divorce de l’avenir. Plus de rire ici. Ni intimité, ni partage. Solitude. Rien d’autre qu’une multitude de solitudes, se côtoyant tous les jours.

Nul ne sait si le lieu l’a précédé, ou s’il devança le lieu. Il aime dire: « je suis plus vieux que ces pierres et ces pavés. Vous pouvez leur demander de raconter votre enfance, mais seul moi peut raconter leur naissance ».

Le vieil homme descend la rue à la rencontre de jeunes qui font désormais la loi dans nos quartiers. Ils définissent le permis et l’interdit, le droit de passage et l’étendue de la liberté de parole. Que va-t-il leur dire? Je ne peux m’empêcher de le suivre. Il va droit vers eux et une inquiétude s’empare de moi à chaque pas qui le rapproche de gamins, devenus tyrans au nom de la liberté.

 

Il se pose devant eux. Ces derniers discutent vivement, probablement pour définir les règles du jour. Il se tient là, sans prononcer un mot, sans faire un geste, les bras derrière le dos. Il attend. Il ne les regarde pas, il fixe toujours cet horizon qui lui appartient et qui nous est invisible.

 

Au bout d’un (long) moment, ils s’aperçoivent de sa présence, se retournent et commencent à le mitrailler du regard.

 

– Que veux-tu vieil homme?

– Je viens m’enquérir des règles du jour, je ne voudrais point les violer en raison de mon ignorance, dit-il d’un ton sarcastique.

– M’enquérir?? tu te fous de nous le vieux ?

– Je ne te parais vieux que parce que tu es jeune. Mais tu es déjà bien âgé pour utiliser un tel vocabulaire.

– Vise moi ça, il s’est pris pour ma mère!

– Ce serait tout à fait inapproprié, je ne me le permettrais pas. Mais je suis venu vous faire part de mes réserves les plus fortes quant à votre attitude. Ce quartier appartient à tous ses habitants, qui ne vous ont ni choisis, ni mandatés, ni élus. De quel droit vous prévalez-vous pour régenter ainsi nos vies? Choisir qui a le droit de passer , qui a le droit de parler et qui est condamné au silence, qui a le droit de vivre et qui doit mourir.

– Si tu continues comme ça tu vas rapidement rejoindre la deuxième catégorie! Hahaha!

Il leur laisse le temps de rire. Ses rides me semblent tristes, mais ses traits n’ont point changé. Il attend.

– Tu vas nous laisser tranquille, dit l’un de la bande d’un ton agacé.

– Dès que vous aurez décidé de nous laisser tranquilles!

 

Au fur et à mesure de la conversation, un attroupement se constitue. J’ai peur que la présence d’un tel public encourage les nouveaux chefs auto-proclamés à se montrer impitoyables, en faisant du vieux un exemple pour tous ceux qui oseraient, à l’avenir, contester leur hégémonie.

 

– Ce que nous faisons, c’est pour le bien de la cité. On n’est pas là pour jouer, on est là parce que c’est notre devoir, et les règles que nous édictons sont justes. Laquelle contestes-tu ?

– La justesse d’une règle imposée par des moyens injustes et des forces illégitimes, ne rend ni les moyens, ni les forces acceptables. Et puis qui es-tu pour décider que telle règle est juste et que telle autre ne l’est pas?

– Je suis le fils de ce quartier.

– Moi j’ai construit ce quartier et je ne prétends pas avoir plus de droits que toi sur son avenir, mais je te conteste le droit d’en avoir plus que moi.

– Tu voudrais qu’on les laisse détruire le quartier, toucher son honneur, laisser les dépravés faire la loi.

– Je voudrais que tu fasses ta part, en toute humilité. L’arrogance est la mère des défauts.

Un jeune homme apparu il y a quelques instants écoute la conversation avec attention. Il échange un regard complice avec le vieil homme.

– Tu étais où vieil homme quand nous faisions la révolution? Assis chez toi entrain de nous regarder à la télé. Et maintenant tu viens nous donner des leçons!, tenta un des leaders du groupe

Le visage du vieil homme s’assombrit. La mer dans ses yeux devient vagues. Et le sel des souvenirs vient brûler ses paupières.

– Ca suffit! Le nouveau venu dit cela d’un ton sec, sans avoir à hausser la voix.

– Qui es-tu? Rétorqua un des jeunes

– Tu ne me reconnais déjà plus… Il enleva sa casquette et on découvrit celui qui, il n’y pas si longtemps était à la tête des mobilisations populaires. Il avait ensuite disparu.

Un brouhaha s’empara de la foule.

– Toi! Tu viens défendre ce vieil homme alors que tu sais mieux que quiconque dans quel état était ce quartier avant.

– Oui, je le sais. Et je n’appréciais pas cet état plus que toi. Mais eux aussi avaient commencé comme toi, à parler en notre nom, à décider à notre place.

– Tu veux qu’on laisse la ville au chaos ?

– Je veux que tu la rende à ses habitants.

Le vieil homme reprit la parole

– Ce qui détruit la cité c’est l’affrontement de certitudes contradictoires, toutes parées de vérités absolues. L’Homme est par essence faillible, il n’est donc pas exempt d’erreurs.

– Alors on fait quoi, on ne fait rien pour ne pas se tromper, vieil homme ? Je préfère prendre le risque de défendre mes convictions que de choisir le silence.

– Qui a parlé de silence? Défends ta vérité, et laisse-moi défendre la mienne. La démocratie, c’est ça.

– Une majorité des habitants nous soutient. La démocratie c’est ça!

– Comment as-tu mesuré ce soutien, et qui peut vérifier ton affirmation, pour le moins péremptoire? Tu t’es érigé seul en porte-parole de la majorité. Et même si la majorité te soutenait, la minorité n’aurait-elle plus droit à la parole ? Les certitudes d’aujourd’hui peuvent devenir les erreurs d’hier. Le cœur de la démocratie est le doute. Le doute qui permet au pluralisme de vivre, le doute qui permet à l’alternance de se faire, le doute qui rejette tout pouvoir absolu, le doute qui permet de dire que la liberté doit être confrontée à la liberté, que la parole doit être confrontée à la parole, pour que nos idées avancent et s’améliorent. La démocratie est la reconnaissance que nous sommes en quête permanente d’une vérité plus parfaite. C’est en déclarant que la vérité est une, et qu’on l’a trouvée, qu’on pose les bases d’une dictature.

Les jeunes tyrans se moquaient de lui, l’arrogance de l’âge diraient certains. Je crois surtout qu’ils avaient été si longtemps méprisés qu’ils ne savaient pas ce que voulait dire respecter autrui.

Le vieil homme n’en démord pas.

– Je veux que vous nous rendiez notre rue!

– Viens la prendre.

– C’est ce que je suis venu faire, je vous donne une heure.

 

Il lance un nouveau regard à son ancien disciple dont il avait été si fier lors des mobilisations, et encore plus fier aujourd’hui. Celui qu’il avait hébergé chez lui pendant la période où il était recherché partout. Il l’avait payé très cher. Le jeune homme lui avait redonné espoir, ou, pour être plus précis, lui avait réappris à douter de la fatalité de son désespoir. Le vieux avait tenté de l’aider à trouver un chemin, en lui conseillant d’emprunter les sentiers nus de pas. Il l’avait encouragé à prendre toute sa part dans les révoltes, mais l’avait prévenu: la révolution barre la route à un passé injuste, mais elle n’ouvre la voie à un avenir juste que si ceux qui la mènent demeurent fidèles aux principes pour lesquels ils se sont soulevés.

Le vieil homme rebrousse chemin, tandis que le jeune leader disparait aussi vite qu’il n’est apparu. Le public se demande comment allait se terminer cette pièce et surtout, si elle allait réussir à défier une fin extrêmement prévisible. Le sage arpente la rue dans le sens inverse. La mer change de direction pour rejoindre son regard. On se retrouve face à face, il me reconnait, je crois. A ses yeux, chaque être est important, chaque regard est différent. Sa mémoire ne s’encombre pas de détail mais d’impressions humaines, dont la trace sur l’âme est bien plus prégnante. Je l’arrête.

– Que comptez-vous faire. Ils peuvent devenir violents, vous savez. Rien ne vous oblige à défendre ces gens qui restent passifs.

Il sourit.

 

– Tu as raison. De toute façon, au vu de mon physique, il y a fort à parier qu’en cas de bagarre, je serai défait. Le vieux ne gagne que dans ce film de Kung-Fu.

– Vous voulez dire Karaté kid. Il avait réussi à me faire rire. Mais alors que comptez-vous faire?

– Je n’ai pas l’intention de me battre, mais j’ai déjà vaincu la peur, regarde derrière moi, cette foule qui a vu ce vieil homme leur parler sans trembler, s’est transformée de public passif en acteur. Je ne peux leur offrir la liberté, je leur rappelle simplement qu’ils peuvent et doivent l’arracher.

 

La foule attroupée hausse le ton contre les nouveaux tyrans, les mères sont venues chercher les rebelles par les oreilles, rappelés en un instant à leur enfance. Je me suis retournée, le sage s’était éloigné, et de dos, je devine ses rides souriantes.

FREEDOM!


Concluding a European tour on Palestinian prisoners. They embody our dignity, our hope, our pride, our determination, and behind bars they continue to be the symbol of our ongoing fight for freedom.