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Abou Ammar, Jérusalem t’attend


Moi qui ai tou­jours écrit, je n’ai pas pu écrire ; moi qui parle tant, je me suis tu. Tu es parti sans que je puisse te dire au revoir, sans un dernier mot, un dernier regard, un dernier sourire. Tu es parti en exil, l’exil que tu as tant détesté, que tu as com­battu avec toutes tes forces. Je ressens main­tenant le besoin de t’écrire, de te parler, de te déranger, toi qui mérites plus que qui­conque un peu de repos. La Palestine a dû dire au revoir à son leader his­to­rique, à celui qui a incarné cette cause, ce combat et cette terre. Le monde a dit au revoir à un grand com­battant, homme de paix prê­chant inlas­sa­blement la coexis­tence et portant le rêve d’un avenir différent.

Tu as mis la Palestine sur le devant de la scène inter­na­tionale quand le monde cher­chait à l’enterrer. Tu as assuré l’indépendance de cette cause quand cer­tains cher­chaient à l’accaparer. Tu as mené le peuple pales­tinien sur la voie de la paix tout en com­prenant ses décep­tions, ses souf­frances, sa révolte. Tu as fait des choix dif­fi­ciles sans jamais rompre le lien avec lui.

Tu as accepté une paix reposant sur deux Etats. Je fais partie des gens qui ne vou­laient pas de cette paix, qui rêvaient de la Palestine que mes parents et grands-parents avaient connue. Je fais partie des gens qui ont accepté ton choix de faire la paix bien plus que la paix elle-même et tu m’as appris à la vouloir réel­lement.

Tu as incarné jusqu’à la confusion cette cause. On te dit ambigu, tu ne l’as pas été. Tu sym­bo­lisais à la fois notre désir de paix et notre révolte réelle. Ce n’est pas toi qui étais ambigu, c’est le monde ambigu ou hypo­crite qui voulait la paix sans nous rendre nos droits, qui voulait que nous capi­tu­lions, ce que nous ne sau­rions faire. Tu parlais sans cesse de coexis­tence. Ceux qui ont eu la chance de te ren­contrer lisaient dans ton regard cet espoir et cet huma­nisme. Mais le monde a préféré accueillir Sharon et accepter ton empri­son­nement. Pré­sident, tu as passé trois ans dans ce quartier général, empri­sonné, encerclé. Ce quartier général, ils l’ont détruit pour te détruire. Ta réponse : un sourire et le refus de t’agenouiller.

J’ai grandi sur tes paroles, j’ai connu mon pays et je l’ai aimé à travers ton regard. Nous avons dû dire au revoir à tant de héros… Nous les avons enterrés dans nos exils, en attendant le retour, en attendant la dignité, en attendant la vie. Nous avons semé leurs tom­beaux à chaque pas en donnant notre parole qu’ils ren­tre­raient avec nous en Palestine. Tu les rejoins comme pour mieux les honorer, comme pour lier ton sort au leur. Tu reposes à Ramallah, mais la terre qui te couvre est de Jéru­salem, là où, je te le promets, nous t’enterrerons. Tu reposes dans ton quartier général devenu ta prison, ta résis­tance et ta der­nière leçon. Comme pour nous dire que devenant Pré­sident, tu n’avais pas cessé d’être un leader qui aimait par­tager les joies de son peuple, il est vrai assez rares, et qui a tou­jours partagé ses douleurs.

Au revoir Pré­sident, au revoir Arafat, au revoir Abou Ammar. Cer­tains en lisant ces lignes se deman­deront si tu ne mérites pas plus de cri­tiques. Je sais que ça te ferait rire. Tu sais bien que nous savions te cri­tiquer, tu nous y a habitués. C’est là ta vraie force, tu es humain et nous le savions ; tu avais des défauts et nous les connais­sions mais cela ne nous a jamais empêchés de t’aimer. Tu avais deux han­tises : l’amour de ton peuple et son destin, et l’Histoire. Ta mort a prouvé que tu n’as rien à craindre. La France, à laquelle nous serons éter­nel­lement recon­nais­sants, t’a réservé les hon­neurs d’un chef d’Etat et t’a permis de rem­porter ta der­nière vic­toire sur le silence du monde. Ton peuple a voulu te dire au revoir en te portant, en enva­hissant ce quartier général damné, en pleurant, en priant, en criant, en te faisant cette même pro­messe. Nous t’enterrerons là où tu l’as voulu et le combat continue.

Tu nous laisses un héritage que le peuple tout entier doit porter, et nous devons nous en montrer dignes. Tu nous a menés jusqu’à notre terre et à présent tu nous confies ce rêve pour lequel tu as – nous avons – déjà tant sacrifié.

Pardon pour mes larmes, pardon pour mon désespoir, pardon pour mes doutes. Pardon à toi, porteur d’espoir, qui le premier m’as donné quelques cer­ti­tudes. Nous n’oublierons ni la légende que nous res­pectons, ni l’homme que nous aimons. Nous te por­terons jusqu’à Jéru­salem, jusqu’à l’Etat, et nous mettrons fin à nos exils, à nos morts. Tu as lié ton sort à ceux-là qui sont enterrés dans une der­nière demeure tem­po­raire mais aussi à celui de ton peuple en reposant dans ta prison comme pour par­tager, même dans ta mort, le sort de ton peuple, comme pour ne pas être libre tant qu’il ne le sera pas. Alors nous te por­terons à Jéru­salem, jusqu’à l’Etat, et ce n’est que là que les vivants comme les morts seront LIBRES.