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« Un instant Monsieur »


Je ne comprends pas ceux qui parlent de plaisir du voyage. Comment se fait-il qu’ils ne ressentent pas l’angoisse, d’être interrogé, refoulé, arrêté. Depuis l’enfance, mon instinct m’indique que le plus naturel serait d’être interdit de passage. Et du coup, je n’ai jamais vraiment su me laisser apprivoiser par le plaisir du voyage.

Comment se fait-il que je me sente si coupable. Je balbutie aux questions les plus simples pour ne pas me trahir, alors que je n’ai rien à cacher! Faites que son regard ne croise pas le mien, afin qu’il ne devine pas le doute qui y a planté sa tente. Faites que mes mains ne tremblent pas. Faites que ma voix soit posée, s’emplissant d’une assurance dont je manque cruellement. Le naturel serait qu’il découvre la supercherie et qu’il m’arrête. Mais il n’y a point de supercherie! Il tourne et retourne le passeport jusqu’à ce que ce que l’aigle se plaigne d’étourdissement. Chaque feuillet est observé longuement, même les pages vides, et je suis effrayé de ce que peuvent révéler ces lignes invisibles. « Un instant Monsieur ». Je connais cette attente. La vraie supercherie, c’est cette expression. Cet « instant » qu’ils évoquent et qui ne cesse de durer.

Quelle fut ma fierté quand je reçu pour la première fois ce passeport, moi qui avait porté jusqu’à là le document de voyage pour les réfugiés palestiniens. Je n’avais pas exercé mon droit au retour mais je sentais qu’on venait de franchir un pas de plus vers l’indépendance. Peut être est-ce pour cela qu’ils nous font attendre. Pour nous rappeler que l’indépendance, en dépit du passeport, n’est pas pour tout de suite. Peut être qu’ils tournent et retournent l’aigle pour que nous ayons le temps de déchiffrer en dessous du mot PASSEPORT, écrit en majuscules et en grand, les mots document de voyage, qui, écrits plus petits, ont tout de même un droit de préséance. Tant de martyres, tant de sacrifices, pour avoir ce document, comme une pièce supplémentaire du puzzle de notre liberté, si difficile à assembler. La pièce n’a de sens que dans les retrouvailles avec ses semblables qui la complètent. A quand les retrouvailles?

Après l’attente solitaire dans une salle où ne vit que la caméra de surveillance au regard moqueur, et l’interrogatoire habituel, on me remet mon précieux document. « Vous pouvez y aller Monsieur ». Mais aller où? Ils venaient de me rappeler que je n’étais le bienvenu nul part, y compris sur ma propre terre. Je n’aime pas le voyage car il me rappelle que les victimes sont traitées en coupables, et les coupables en victimes. Je n’aime pas le voyage parce qu’il me rappelle que l’occupation se poursuit même en dehors de nos frontières. Je n’aime pas le voyage car il me rappelle que l’exil est pour l’heure ma véritable nationalité. Je contemple cette pièce de mon identité, et me réfugie quelques instants de plus dans ces quelques lettres qui me servent de géographie, PAL… Et la liberté, comme mes pensées, demeure suspendue.

La Palestine: temps de redistribuer les cartes!


L’hégémonie américaine, l’hyperpuissance, a marqué sa naissance de deux pierres, un acte de guerre et un acte de paix: la première guerre d’Irak et la Conférence internationale de Madrid pour la paix. Les palestiniens, ayant pris conscience des changements géostratégiques en cours, avaient entamé, des années auparavant, des contacts de plus en plus réguliers avec l’administration américaine. Après la chute du bloc soviétique, il ne leur restait qu’une option, intégrer la pax americana. Jusqu’au bout, Israël tentera de les en exclure, y compris en refusant la présence d’une délégation palestinienne à Madrid, ou de représentants de l’OLP. Des figures nationales de l’intérieur du territoire palestinien occupé intégreront la délégation jordanienne, ouvrant une brèche dans laquelle l’OLP va rapidement s’engouffrer. Les accords d’Oslo, signés à Washington, sous l’égide des Etats-Unis, marquent le succès des palestiniens à intégrer la pax americana, mais aussi leur sortie des cadres internationaux et multilatéraux, abandonnés au profit d’un cadre bilatéral sous parrainage américain.

A camp David, en 2000, on ne constate pas seulement l’échec des deux parties à parvenir à une solution négociée, mais aussi la partialité du parrain américain et son incapacité à faire sérieusement pression sur la partie israélienne. L’Etat palestinien aurait dû émerger en 1999, à la fin de la période intérimaire prévue par les accords de paix, et Arafat avait caressé l’idée de le déclarer et d’obtenir l’appui international à sa création. Les Palestiniens auraient du tirer les conséquences de l’échec du cadre bilatéral à ce moment là, un cadre où l’asymétrie des forces entre puissance occupante et peuple occupé marque de tout son poids la réalité sur le terrain, la réalité d’une occupation de plus en plus ancrée et d’une indépendance de plus en plus menacée. Mais poussés par lest Etats- Unis et l’Europe à une ultime négociation, puis rendus responsables par l’administration américaine de son échec, et confrontés à l’irruption d’une seconde Intifada et au piège de sa militarisation, les Palestiniens venaient de perdre toutes leurs marges de manoeuvre.

A son investiture, Mahmoud Abbas se donne pour mission de retirer tout prétexte à la partie israélienne pour l’obliger à négocier. Il compte bien plus sur l’intervention américaine que sur le bon vouloir israélien. Sa stratégie repose sur trois piliers: construction des institutions de l’Etat, fin de toute forme de résistance non pacifique, négociations. La Palestine ayant rempli l’ensemble de ses obligations, y compris dans le domaine ultrasensible de la sécurité, et en dépit de la poursuite des incursions et arrestations israéliennes, il se tourne vers le parrain américain et exige le gel de la colonisation, des paramètres clairs reconnus internationalement et un calendrier. Le parrain échouera à imposer les trois.

Abbas ne choisit pas la confrontation sur le terrain. Sa nature, sa psychologie, sa peur du dérapage l’en empêchent. Alors il choisit de prendre l’initiative sur le front diplomatique et politique. Il fait ce que les Palestiniens auraient du faire en 1999, il oeuvre pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine sur les frontières de 1967, et demande l’adhésion de cet Etat à l’ONU. Ce faisant, et peut être sans en avoir pleinement conscience, il entame une démarche salutaire, il referme la parenthèse Oslo. Il renoue avec la dimension internationale de la lutte du peuple palestinien et ouvre la voie vers une réconciliation décisive avec sa dimension populaire, toutes deux si chères à Arafat. Quand une équation est insoluble, il faut en changer les termes. Les Palestiniens ont tout tenté au sein de l’équation actuelle, et ils sont toujours sortis perdants: résistance populaire, résistance militaire, confrontation, négociations, institutions, pressions. Israël a trop de cartes en main, alors il faut rebattre les cartes et les redistribuer, sortir du face à face suicidaire pour réintégrer les cadres internationaux. Et tenter par là même de se doter de nouveaux instruments politiques, diplomatiques et juridiques leur permettant de poursuivre et d’amplifier la lutte pacifique pour le respect de leurs droits. Les Palestiniens contribueront dès lors à la fin du monde ancien au profit d’un monde encore à définir.

Deux images symboliseront à jamais ces deux mondes en confrontation, l’ancien ayant atteint son paroxysme avec les applaudissements répétés du Congrès américain au discours colonial et provocateur de Netanyahu; le second transparaissant, telle une lueur, lors des applaudissements des représentants des nations du monde lors du discours de Mahmoud Abbas à l’Assemblée générale. En cela, la perspective d’un veto américain doit faire bien plus trembler l’hyperpuissance que les Palestiniens. Les Etats-Unis, incapables d’arrêter la colonisation pour relancer la paix, préfèrent bloquer la reconnaissance de l’Etat palestinien! Le veto placé en février 2011 pour protéger la colonisation israélienne avait déjà entamé cette séquence fatidique. Un second veto s’opposant à l’indépendance de la Palestine scellera non seulement la fin de la prédominance américaine dans le conflit, mais aussi dans l’ensemble de la région. N’est ce pas l’arme qui symbolise le mieux le monde ancien? N’est ce pas celle qui matérialise, plus que tout autre, la complicité américaine avec l’impunité israélienne? Les Etats-Unis dilapideront en un instant tout le capital accumulé par l’administration Obama. Ils sortiront du printemps arabe pour entrer dans l’hiver colonial israélien. Les deux étant incompatibles, ils doivent choisir. Et si leur choix, si prévisible, ne mettait pas seulement fin à leur statut de parrain du processus de paix, mais précipitait la fin de l’hégémonie américaine?

Nul acteur, prétendant à un rôle international ne peut le faire sans se positionner sur ce conflit, devenu le coeur des relations internationales. Les Palestiniens entendent désormais tirer profit à nouveau de cette réalité. Ils ont redécouvert le monde, les puissances renaissantes telles la Russie ou la Turquie; celles émergentes telles l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud ou le Brésil. Toutes savent l’importance de l’enjeu palestinien, tant pour leur prestige international qu’interne. L’UE devrait s’en souvenir, car embourbée dans ses hésitations, elle pourrait manquer son rendez vous avec l’histoire. Cette Europe, dont la politique étrangère est née avec la déclaration de Venise reconnaissant au peuple palestinien son droit à l’autodétermination, il y a trois décennies, fera-t-elle chanceler sa puissance politique émergente et son rôle dans la région? Les gouvernements européens s’opposeront-ils à leurs citoyens et leurs parlements pour défendre l’impunité israélienne? Rien ne sert de faire l’Union si c’est pour choisir, face à l’histoire, l’abstention! Dans cette quête mondiale de voix leur permettant d’accéder à l’indépendance juridique, les Palestiniens ont trouvé la voie la plus prometteuse vers une indépendance réelle. Là où Arafat avait cherché à réintroduire un rapport de force dans une équation perdante, ils doivent désormais changer tout simplement les règles du jeu.

Le printemps arabe, facteur imprévisible et imprévu, est une nouvelle donne fondamentale de ce monde nouveau, une donne dont beaucoup sous-estiment la portée internationale. Les Palestiniens doivent y entrer de tout leur poids. Figurant parmi les inspirateurs de ce printemps, les Palestiniens doivent aussi en être les héritiers. Leur lutte pour la liberté, la justice et la dignité, qui aurait pu être marginalisée par l’éclosion régionale, s’en est trouvée au contraire renforcée. Les nouveaux gouvernements, conscients que la Palestine demeure une priorité pour leur population, gardent cette question au sommet d’un agenda pourtant surchargé de défis historiques. L’Egypte ne vient-elle pas de favoriser la réconciliation palestinienne et l’échange de prisonniers en pleine transition démocratique? La Palestine, forte de ce contexte régional nouveau et d’un monde multipolaire en gestation, a rendez vous avec son destin. La Palestine ne doit plus se soumettre aux contraintes du monde passé. Elle doit prendre toute sa place dans la définition du monde nouveau, un monde qui devra désormais régler sa montre à l’heure palestinienne.